Dynamique sédimentaire du littoral manchois
Contrairement aux côtes rocheuses qui changent très peu dans la Manche, la morphologie des côtes meubles évolue au gré des déplacements de sédiments. Appréhender cette dynamique sédimentaire suppose de connaître l’origine des sédiments, les agents qui les mettent en mouvement et les déplacements qui en résulte, ceci afin de mieux comprendre le fonctionnement des plages et les facteurs qui en perturbent l’équilibre.
Origine des sédiments de nos côtes
Les sédiments des plages manchoises sont issus essentiellement de l’altération des roches qui s’est produite à un moment où le climat était favorable à l’érosion des sols, à savoir lors de la dernière période glaciaire qui s’est traduite, avec l’abaissement du niveau marin et le recul de la ligne de rivage, par un fort pouvoir érosif et donc la formation et le dépôt de sédiments sableux sur le plateau continental (= replat marin qui plonge jusqu’à 200m sous l’actuel niveau marin).
Alors que la dernière déglaciation a débuté il y a 19 000 ans, la transgression marine qui a suivi a emporté le sable accumulé sur le plateau continental et l’a fait remonter vers les rivages, constituant ainsi nos plages, et sous l’effet du vent, nos dunes. Le sable des plages manchoises a ainsi été mis en place il y a environ 3 000 à 4 000 ans, à un moment où l’élévation du niveau marin a fortement ralenti et où le climat est devenu plus tempéré, limitant ainsi fortement l’érosion des roches et donc les apports sédimentaires.
Cette diminution des apports sédimentaires, conjuguée à une exploitation encore récente du sable pour les activités humaines, a contribué à l’épuisement du stock sédimentaire de nos côtes qui n’est plus renouvelé, et sachant que les apports de sédiments aujourd’hui proviennent uniquement des fleuves (sédiments fins) et de l’érosion des falaises rocheuses littorales.
Ce stock sédimentaire limité constitue ainsi l’une des principales causes d’instabilité du littoral et de l’érosion côtière qui touchent les côtes manchoises. Elle est évidemment amplifiée par le dérèglement climatique et la hausse du niveau marin, mais aussi par les ouvrages côtiers qui, en perturbant les échanges sédimentaires, amplifient souvent l’érosion à proximité.
Variation du niveau marin depuis la fin de la dernière période glaciaire :
-120m il y a 20 000 ans
-80m il y a 14 000 ans
-20m il y a 9 000 ans
-8,2m il y a 7 000 ans
-2,9m il y a 4 000 ans
-1,4m il y a 3 000 ans
Le transport des sédiments
Les sédiments des côtes manchoises sont de nature diverse (sables, graviers, galets, vases…) et sont mis en mouvement tout au long de l’année, par des agents dynamiques qui façonnent le littoral : le vent, la houle et les vagues, les marées et courants.
Agents à l’origine de la dynamique sédimentaire
Les sédiments peuvent se déplacer par charriage (les matériaux glissent ou sont roulés), saltation (le transport s’effectue par sauts successifs) ou suspension (dispersion dans l’eau ou l’air).
- Le vent : Également responsable de la formation de la houle, le vent agit directement sur les sédiments des plages émergées. Le vent de mer emporte le sable quand il est sec et alimente la dune. Le vent de terre alimente la plage en arrachant du sable de la dune.
- La houle : A l’approche de la côte, la houle est à l’origine de courants susceptibles de transporter d’importants volumes de sédiments et de modeler le paysage littoral. En rencontrant des obstacles, la houle génère des ondes qui peuvent accroître localement les phénomènes d’érosion.
- Les vagues : Le mouvement de va et vient des vagues produit un effet de cisaillement sur le fond qui entraine les particules.
- Les marées et courants : Les courants de marée sont prépondérants au large mais sont dominés par les courants de houle à l’approche du rivage. Ils mettent en mouvement une quantité d’eau considérable et génèrent localement des courants violents pouvant déplacer une grande charge en suspension.
Les types de transports sédimentaires
On distingue deux types de transports sédimentaires sur les côtes manchoises :
- Des transferts longitudinaux parallèles à la côte
La dérive littorale, un courant marin née de l’obliquité de la houle par rapport au trait de côte, transporte les sédiments, sous l’effet combiné des vagues, du vent (houle) et des courants latéraux. La dérive littorale concerne des volumes considérables de sédiments. Ce transport sédimentaire longitudinal s’effectue majoritairement sous l’action des vagues. Dès que le vent et l’agitation marine associée changent de direction, le transport sédimentaire change également. La direction de la dérive littorale et du transport sédimentaire associé est également fonction de l’orientation du rivage, de la morphologie des fonds marins, de la présence d’îles. Les aménagements littoraux peuvent profondément modifier la dérive littorale. C’est notamment le cas des ouvrages transversaux (perpendiculaires au rivage) tels que les jetées portuaires, les cales ou les épis.
Alors que les vents dominants viennent de l’ouest dans la Manche, la dérive littorale est majoritairement orientée vers le sud sur la côte Est du Cotentin. Elle s’inverse au niveau de la Pointe de Barfleur et de la Pointe de la Hague. Elle est particulièrement complexe sur la côte Ouest Cotentin, avec de nombreuses zones d’inversion du sens du transport des sédiments au droit de l’embouchure des havres.
- Des transferts perpendiculaires à la plage
Les sédiments sont transportés en direction du large durant les périodes de forte énergie (houles de tempête) et en direction de la dune durant les périodes de faible énergie (houles de beau temps).
Grâce à ces échanges perpendiculaires, les dunes littorales sont un bel exemple de résilience naturelle.
Alors que les tempêtes peuvent parfois brutalement les éroder et les faire reculer, les dunes possèdent une véritable capacité de régénération. Des compensations sédimentaires se produisent sur les secteurs en érosion et les dunes peuvent soit se reconstituer sous l’action du vent et d’une végétation pionnière, soit reculer mais en retrouvant leur forme initiale.
Ce type d’évolution n’est évidemment possible que dans le cas d’un budget sédimentaire équilibré, d’une dérive littorale sans perturbations par l’homme, du libre déplacement des bancs de sable proches de la côte et du stock dunaire en contact avec la plage.
Les dunes constituent ainsi de véritable remparts naturels protégeant les zones basses arrière-littorales, et leur résilience naturelle est un atout essentiel à prendre en compte dans la gestion du littoral.
Schéma de fonctionnement d’une plage
Dans la Manche, les plages composées de sables ou de galets voient leur profil évoluer au cours des saisons sous l’action des différents échanges sédimentaires à l’œuvre.
En période tempétueuse (généralement en hiver), les vagues plus puissantes arrachent le sable du haut de plage et de l’avant-dune. Les plages sont alors plus basses avec une pente douce et régulière. On dit que la plage maigrit et le pied de dune est souvent taillé en falaise par la mer. C’est l’érosion côtière. Ce phénomène peut être spectaculaire lors des marées de vive-eau et tempêtes. Le sable arraché aliment alors les petits fonds marins.
En période clémente (en été), le sable sous l’effet de la houle et des marées remonte et enrichit de nouveau le haut de plage. Elles se rehaussent, leur pente est plus forte et le sable accumulé dans les petits fonds pendant l’hiver, remonte progressivement vers le haut de plage. On dit que la plage s’engraisse. Le vent participe aussi activement à réensabler le haut de plage et la dune. La dune se reconstruit et le trait de côte peut progresser vers la mer. C’est l’accrétion.
Le sable est ensuite transporté par le vent de la plage vers la dune. Il se déplace aussi le long de la côte sous l’action de la mer grâce à la dérive littorale.
Qu’est-ce-qu’une cellule hydrosédimentaire?
Le littoral manchois est divisé en cellules hydrosédimentaires, à savoir des compartiments relativement indépendants les uns des autres, en terme de transits sédimentaires.
Dans la Manche, les limites de ces cellules peuvent être fixes (pointes rocheuses, embouchures de fleuves, jetées portuaires, cales de mise à l’eau…), ou mobiles en fonction de l’orientation du rivage par rapport aux vents et houles dominantes (point d’inversion de la dérive littorale).
Ces cellules constituent la meilleure échelle de gestion des sédiments et par voie de conséquence des risques littoraux.
Fonctionnement et bilan sédimentaire
Pour expliquer l’évolution morphologique d’une zone littorale (érosion, stabilité ou accumulation de sédiments), on établit son bilan sédimentaire. Il s’agit de quantifier les stocks de sédiments présents, auxquels on ajoute les entrées (arrivée de sédiments par dérive littorale, ou transversale notamment en provenance des petits fonds, de l’érosion du continent, des apports fluviaux ou, arrivée par rechargement anthropique), et on retranche les sorties (départ par dérive littorale, ou transversal, notamment vers les petits fonds, les dunes littorales et les estuaires ou départ dû aux extractions effectuées par l’homme).
Quand les entrées sont supérieures aux pertes, les plages s’engraissent et se rehaussent contribuant ainsi à renforcer leur capacité de protection. Dans le cas contraire, l’érosion des plages peut être très rapide et rendre la zone côtière vulnérable aux assauts de la mer lors des tempêtes et au recul du trait de côte.